Je rentrai donc au pays de mon plein gré après une absence de trente-sept années, avec l’espoir d’y avoir droit de cité, et résolu à y vivre et travailler dans le calme.
Je commençai à fermer la boucle, en quelque sorte, en laissant le plus de mou possible dans le nœud coulant de mon existence, attendu que je n’étais pas pressé de rejoindre mes aïeux.
Le moment venu, je n’aurais que peu de chemin à faire pour aller les retrouver, le cimetière n’étant qu’à quelques tours de roues de ma maison.
Pour lors, j’avais besoin de souffler un peu, de regarder en moi, de faire le point sur mon passé récent, de réorganiser mon avenir sur le moyen terme puis, pourquoi pas, faire des projets.
Je venais de prendre sans réelle préparation, presque sans précaution, il faut le dire, une décision qui me paraissait a priori évidente, mais dont les effets pouvaient se révéler considérables.
Désormais, il me faudrait assumer pleinement ma nouvelle condition de villageois. La migration vers l’inconnu, ne fût-il qu’un un tout petit village, n’était pas facile, d’autant que j’avais encore de la mégapole à qui je tournai le dos, une vision cauchemardesque.
La ville.
Elle avait bien essayé de me garder derrière ses murs après avoir abusé de moi sans scrupules, et commencé à me soumettre en utilisant des stratagèmes tentateurs et dévorateurs, tels que situation enviée, honneurs parfois indus, éloges appuyés ponctués de discours dithyrambiques, le tout enrobé d’aisance matérielle.
Je lui tins tête.
Elle avait également cherché à me séduire, mais d’une autre manière, en distillant cette fois dans mon esprit rendu vulnérable, des messages mystiques et fallacieux, lesquels, savamment mixés, prenaient des apparences de vérité.
Je résistai aussi à ces envoûtements.
En dernier ressort, elle tenta de m’exiler, mais sa démarche fut inutile car je m’étais déjà échappé, accaparé ailleurs par un drame inéluctable qui allait bouleverser mon existence.
Se sentant offensée, ayant constaté que mon esprit rebelle et original était inassimilable, la perfide mégalopole me condamna, mais sans savoir que faire de moi.
Fut-elle prise d’un soudain accès d’humanité, de compassion ou de faiblesse ? Sut-elle ce qui se passait dans ma vie ? Le fait est qu’elle me laissa tranquille. Abasourdi par cette amnistie inattendue, étonné de ne pas avoir subi le sort qu’elle réservait d’ordinaire à ceux qui avaient perdu ses bonnes grâces, je quittai ce monde-là.
La douleur inexorable qui entoure la disparition d’un être aimé atteint son paroxysme et perdure. Dans ces moments-là, les plaintes deviennent inaudibles et il est vain, voire indécent, de vouloir les extérioriser. De toute façon, elles importunent.
Parce que longtemps contenus, mes cris de souffrance avaient fini par laisser de profondes séquelles. À la sortie de cinq longues années troublées, je me retrouvai seul devant un vide au bord duquel j’oscillai dangereusement.